Entretien réalisé par Marie Diagne
 
       
       
   

M.D: Dans le film de Jean-François Grêlé, vous parlez de ce que l'on sait du tableau que l'on va peindre et ce que l'on ajuste au fur et à mesure que le tableau se met en oeuvre. Ce que vous savez du tableau à peindre est bien sûr différent pour chaque tableau mais y-a-t-il néanmoins quelque chose qui vaille pour chacune de vos créations et que vous savez avant de l'entreprendre ?

 

J.A: Tout est basé sur l'envie. L'agencement des formes et leurs couleurs se fait sur l'aperçu mental que je me fait de la composition, c'est à dire que je vais ressentir une forme brillante suivie d'une forme mate ou rugueuse à tel endroit. L'histoire se construira naturellement. Je peux également avoir une envie furieuse de figurer « l'océan » auquel cas j'adapte mes matériaux en fonction de la matière disposée de façon propice.

La lumière, la matière, le lisse et le rugueux font partie de mon concept. Je dois y répondre, c'est le choix que j'ai fait au départ en décidant de mettre en oeuvre un travail. Je peux aussi n'en prendre qu'une partie.

 

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M.D: Votre travail est plutôt abstrait, marqué par le geste que vous avez donné aux matières de vos tableaux et qui donne tant de forces aux couleurs que vous avez posées par la suite. A quelle occasion avez-vous découvert ce travail du volume ?


J.A: J'ai découvert ce travail du volume lors d'une exposition à Tours dans les années 80, par un travail de Nicolas de Staël. Celui-ci m'a fasciné par l'épaisseur utilisée et le rendu que cela procurait.

 

M.D: Comment choisissez-vous les outils qui structurent la matière de vos tableaux ?

J.A: Les outils les meilleurs sont ceux que l'on invente et fabrique (carton façonné, pot en verre, tuyau en plastique...) car ils répondent parfaitement au besoin que l'on en a.

 

M.D: Et surtout comment, pour vous citer, donne-t-il, selon vous, « naissance à la couleur » ?

J.A: Elle n'est concevable pour moi qu'en mélangeant un liant (huile) au pigment.


M.D: Aujourd'hui, vous créez avec d'autres personnes qui concrétisent pour vous les gestes fondateurs de vos tableaux. Comment préservez-vous ce contact fondateur avec vos tableaux ?

J.A: Etant peintre depuis de longues années, je connais mes techniques, et donc peux les transmettre oralement et simplement aux assistants qui m'aident. Je sais, à force de travail, exactement quel genre de technique il y aura à tel endroit pour le rendu que je veux obtenir et, j'en découvre de nouvelles. Il suffit de le communiquer sans oublier les détails et les assistants le réalisent sans difficultées incontournables.

 

M.D: Vous choisissez de travailler avec des personnes « vierges » de toutes techniques de peintures parce que, dites-vous, ce que vous recherchez est un « geste aveugle ». Pouvez-vous préciser ?

J.A: Pas « aveugle », mais plutôt un « geste de confiance » avec des gens plus ou moins expérimentés, cela m'importe. Je préfère des personnes novices et attentives pour éviter toute influence. Rien ne m'empêche par la suite d'employer telle personne pour tel travail selon ses compétences : L'un collera de l'or parce qu'il aura moins d'appréhensions, plus d'aisance plutôt qu'un autre qui sera plus à l'aise dans la pose de la matière ou le travail des couleurs. Ceci étant, j'ai appris à chacun(e) à être polyvalent(e).


 

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M.D: Après le travail des volumes, vous passez les couleurs. Dans le film de Jean-François, vous dites : « On étale de la couleur, rien de plus. ». Que voulez-vous dire ?

J.A: Que ce n'est pas dramatique , « ce n'est que de la peinture ». C'est pour dédramatiser. J'accorde beaucoup d'importance au fait que mes assistants ne stressent pas. Cela peut être réparable.

 


M.D: Comment combinez-vous les matières, les volumes et les couleurs ?

J.A: Selon mon désir, avec l'idée que je veux faire passer. Je sais selon les formes où se trouveront les lumières et les couleurs trouveront leur place au cours de l'évolution du travail.

 

M.D: Vous passez désormais la feuille d'or me semble-t-il en dernière partie de votre travail. Utilisez-vous ce matériau depuis longtemps ?

J.A: J'utilise ce matériau depuis quelques années maintenant (2006). Il a remplacé l'aluminium parce que l'or ne s'oxyde pas. Il est mythique et fait partie de nous, ; il est totalement pur et réagit intensément à la lumière. Il suffit de le regarder au milieu d'autres couleurs, avec un rayon de soleil, il y a quelque chose de somptueux dans la peinture. Il impose une autre approche de la toile. Je pense que nous avons tous besoin de lumière, qu'elle soit directe ou diffuse.


M.D: Pourquoi l'appliquez en toute fin ?

J.A: Je n'ai pas vraiment de règles. Je le colle généralement au début, mais il m'arrive pour équilibrer l'ensemble de le placer à la fin. Il faut qu'il tienne parfaitement et que le travail soit fait correctement.


M.D: Et les autres couleurs ? Les appliquez-vous selon un ordre ? Comment travaillez-vous leur combinaison ?

J.A: Je travaille souvent avec une base choisie de deux complémentaires, ou un jeu de trois couleurs. Mais aussi avec un camaïeu de couleurs choisies. Les choix sont multiples, ils dépendent de l'orientation que l'on veut donner à la peinture.

 

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M.D: Quand considérez-vous qu'un tableau est achevé ? Que se passe-t-il lorsque, pour achever votre tableau, vous faites enlever le scotch qui détoure votre toile ?

J.A: Un tableau est achevé lorsqu'il y a suffisamment d'éléments. Nous avons la réponse au problème du départ à savoir la toile peinte. Est-elle équilibrée, prenante, repoussante, etc...

Le scotch préserve de toute trace sur la toile, et nous rappelle ce qu'elle était avant de commencer. Le blanc est à l'origine ; il est le blanc originel qui est sauvegardé, qui sert de diapason. Il délimite un morceau d'espace choisi et sélectionné. La sélection centrale m'appartient seulement, l'extérieur est réalitée.


M.D: Sur la page d'accueil de votre site, on peut lire :

"Je m'approprie la toile en la détourant. Le blanc originel servira de référence. J'explore le jeu des couleurs selon des combinaisons constamment renouvelées. Mon travail est basé sur le voyage entre les extrêmes :

De l'épaisseur, à la finesse du grain. Du plus mate au plus brillant. Du plus commun au plus précieux." Pouvez-vous parler un peu plus de ce voyage entre les extrêmes ?

J.A: Ma peinture est comme la nature ; entre deux extrêmes, il y a tout le reste : les nuances et la diversité, l'épaisseur, la lumière... La peinture.

 

Entretien réalisé par Marie Diagne